Consciencieuse à l'excès . Aujourd'hui , Simone Veil n'a rien perdu de son extraordinaire simplicité ni de sa disponibilité . Tous les membres de son cabinet (neuf hommes et quatres femmes ) peuvent pousser sa porte à tout moment . Son aptitude à assimiler les dossiers les plus ardus est devenue proverbiale , et elle ne prend une décision que qund elle est certaine d(avoir réuni tous les éléments . Pour Jacques Chirac , le seul défaut de son ministre de la santé serais d'être parfois <<consciencieuse à l'excès>> . En fait , cette femme qui d'ordinaire se contrôle si bien est aussi capable de grandes colères . On se souvient , au ministère , de sa fureur lorsqu'elle apprit que , contrairement à la politique fixée , qui était d'intégrer les départements mentaux dans l'hôpital général , on continuait à construire des hôpitaux psychiatriques.
Elle a parfois du mal à cacher sa profonde émotivité . En juin 1974 , lors de sa première conférence de presse , elle fut d'abord incapable d'articuler un seul mot . Un verre d'eau sauva la situation .
On remarqua aussi , ce jour-là , qu'elle fumait beaucoup . Une photo la représentant une cigarette à la main fut même publiée dans la presse , alors qu'elle était en pleine préparation d'une grande campagne anti-tabac . Elle reçut de nombreuses lettres qui lui faisaient remarquer qu'un ministre de la santé se doit de montrer l'exemple . Furieuse contre elle-même , elle se jura de ne plus jamais fumer en public . Pendant les quatre-vingt-dix minutes que dura notre entretien, elle n'a , en effet , pas touché une seule cigarette .
Mais c'est la manière dont elle défend le fameux projet de loi sur l'interruption volontaire de la grossesse , que les Français découvrent sa personnalité hors du commun . Le président Valéry Giscard d'Estaing lui a confié le dossier au lendemain même de son arrivée avenue de Ségur . Lourde responsabilité à laquelle Simone Veil s'attelle avec la ferme intention de mettre une fois pour toutes , fin au scandale de l'avortement clandestin : 350 000 à 800 000 <<interventions >> se pratiquent chaque année en France , généralement dans des conditions d'hygiène lamentables .
Le débat , véritable marathon parlementaire , durera plus de vingt-cinq heure . Simone Veil défend pied à pied son texte . Si elle rend hommage à ses adversaires qu'agitent de douloureux problèmes de conscience , c'est aussitôt pour leur rappeler que << le courage consiste parfois à ouvrir les yeux >> . Finalement , le projet est adopté par 284 voix contre 189 .
<< humaniser les hôpitaux >>. La nouvelle loi ne permet l'avortement qu'avant la fin de la dixième semaine de grossesse . Il ne doit en aucun cas << constituer un moyen de régulation des naissances >> . Dans ce souci , le gouvernement crée 159 centres d'information et de planification familiale et 300 établissements d'orientation comprenant chacun un médecin et une sage-femme . Un délai de reflexion d'une semaine est imposé à la femme qui désire avorter , pour mûrir sa décision .
Mais la loi engendre un surcroît de travail et des difficultés pour les hôpitaux déjà surchargés , où l'on manque de lits , d'infirmières et de personnel . Mme Veil voudrait parvenir à la création d'<<hôpitaux de jour >> , où l'interruption de grossesse serait pratiquée dans la journée , après une série d'examens et suivie de quelques heures de repos .
Bien que le budget de 1975 ait affecté 1 313 millions de francs à la construction des hôpitaux , soit 20 % de plus que l'année précédente , le ministre a conscience que le << béton ne résout pas tous les problèmes >> Il faut humaniser les hôpitaux dit-elle , mais l'humanisation n'est possible que si le personnel est suffisamment disponible .
Or , il manque 20 000 infirmières en France ; 30 nouvelles écoles ont été crées et des mesures viennent d'être prises pour améliorer les horaires , les conditions de vie et la rémunération des infirmières . Mais il reste beaucoup à faire .
Dans le corps médical , il y a trop de spécialistes par rapport aux généralistes . Afin d'aider les jeunes à opter pour la médecine générale , un décret , en préparation au Conseil d'Etat , donnera plus de facilités aux généralistes dans l'exercice de leurs fonctions : création de cabinet de groupe , secrétariat commun à plusieurs médecins , etc...
Multiples taches . Une série d'autres mesures sont attendues : Vaccinations contre la toxoplasmose et la rubéole , afin de mieux protéger les femmes enceintes , congés de maternité allongées , protection de l'enfance par l'ouverture de nouvelles crèches et par une loi plus juste concernant l'adoption . De nombreux autres problèmes concernant les personnes âgées , les handicapés physiques , la lutte contre l'alcoolisme , la drogue , le tabagisme font partie des préoccupations du ministre .
Pour faire face à toutes ces taches , Simone Veil est à son bureau dès 9 heures du matin . Ce n'est que vers 10 heures du soir qu'elle peut enfin partager avec son mari une salade et des oeufs durs . Et qu'elle ne peut se retrouver en famille que le dimanche .
Confronté à l'extraordinaire réussite de sa femme , Antoine Veil fait preuve de détachement et d'humour . S'il reçoit un carton officiel adressé à <<madame le ministre de la santé et Monsieur Simone Veil >> , pince-sans-rire remarque : <<en somme, je suis le prince consort >>.
Simone Veil reconnaît qu'être seule parmi les hommes l'a plutôt aidée , mais seulement <<une fois surmontés les obstacles dus à la méfiance naturelle des hommes à l'égard de celles qui se lancent dans une carrière >>.
et elle ajoute , songeuse ; << c'est difficile de changer la vie . C'est long . Cela exige de la patience , de l'obstination et beaucoup de réflexion >> .
C'est trois qualités , le ministre de la santé les possède à l'évidence , en plus de la force de caractère . Peut-être n'est-il pas indiscret de rapporter que , en janvier 4975 , Jacques Chirac déclarait : << Mme Veil ferait un très bon premier ministre >>
Prophétie ou simple boutade ? qui sait ? En tout cas , tout le monde est d'accord pour penser que la carrière de Simone Veil ne fait que débuter . (source : condensé de lecture du reader'sdigest d'avril 1976)